[Journée de la presse] Les médias classiques à l’heure de la remise en question face au diktat des réseaux sociaux
Durant ces vingt dernières années, l’internet a permis aux journalistes d’accéder librement et instantanément aux informations à l’échelle locale, nationale et internationale. Ceci grâce notamment à l’apparition des réseaux sociaux. Internet transforme ainsi la manière de travailler des journalistes. Mais à quel prix ? Les médias classiques comme la presse écrite, la radio ou encore la télévision ont perdu le monopole d’émetteur de leur principal outil de travail : l’information. Une partie de leur public préfère s’informer sur les réseaux sociaux. En plus, il existe une certaine défiance du public envers ces médias. D’aucuns allant même jusqu’à considérer que les journalistes ne sont pas objectifs dans le traitement de l’information au Sénégal.
Les réseaux s’imposent et imposent leur diktat à tous y compris aux médias classiques. Au point de bousculer l’influence des médias classiques, télévision, radio, presse écrite et presse en ligne. Le traitement et la diffusion des informations à travers les canaux traditionnels sont soumis à une rude concurrence. Dans la pratique, depuis quelques années, ce sont les réseaux sociaux qui informent les journalistes et qui imposent les sujets à traiter par les médias. Une vraie ironie du sort. Aujourd’hui, ces médias de masse font face à une concurrence redoutable et redoutée avec l’arrivée des réseaux sociaux qui investissent le champ de l’opinion, de la production de contenus et de l’information. Tout en facilitant l’accès à l’information, ces plateformes d’interaction à grande échelle perturbent parfois le travail des journalistes. «Une assimilation faite entre le travail des journalistes et celui réalisé dans les réseaux sociaux, parvient à donner une certaine confusion dans l’esprit des usagers de l’internet», affirme Mamadou Ndiaye, directeur de la Communication, du Numérique et du Pôle Edition du groupe E média qui compte une télévision, une radio, un site en ligne et un quotidien.
A l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), la fraîcheur matinale berce les visages à l’entrée du couloir de la mort qui est en chantier. Abdoulaye Ndiaye, lui, passe en revue les Unes du jour chez le vendeur de journaux. En pullover, le jeune étudiant tient son sac à dos et prend connaissance de l’actualité. « Je viens ici à chaque fois que j’ai cours pour juste voir les Unes avant de continuer ma route. Mais j’achète rarement ces journaux. La plupart du temps, je m’informe sur le net», glisse le jeune homme de 22 ans, étudiant au département d’Anglais. « Il est plus pratique pour les personnes de ma génération de s’informer à partir des réseaux sociaux», ajoute M. Ndiaye, originaire Fatick. Le vendeur de journaux, drapé sous le sceau de l’anonymat, confirme que les étudiants achètent rarement. « Mes clients, ce sont les particuliers qui passent ou les hommes un peu âgés. Maintenant les personnes s’informent sur internet notamment sur les réseaux sociaux», se résigne le quinqua, visage ridé marqué par le poids des années. Ndiémé Faye, étudiante au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti), abonde dans le même sens mais apporte quelques nuances : « Certes aujourd’hui, les gens s’informent plus sur les médias sociaux, mais il y a certains qui continuent à regarder le journal télévisé ou à lire un journal. Ils éprouvent du plaisir à lire ».
Selon un rapport publié par Datareportal, plateforme qui montre des statistiques détaillées sur l’utilisation d’internet, des médias sociaux et du mobile dans le monde, le Sénégal comptait 3,71 millions d’utilisateurs des réseaux sociaux en janvier 2024, soit, 20,6% de la population totale du pays. Une étude réalisée par Afrobarometer indique qu’entre 2021 et 2023, 58% des Sénégalais « accèdent aux actualités sur l’internet ou sur les réseaux sociaux ou les deux quelques fois par semaine ou tous les jours ».
Une érosion du bassin des lecteurs
Par conséquent, Mamadou Ndiaye constate une « érosion des publics des médias classiques». La presse dite traditionnelle, timorée à l’arrivée des réseaux sociaux est «restée en retrait et il y a eu un phénomène d’accoutumance», note M. Ndiaye ancien journaliste à l’Agence France presse (Afp). « L’écriture a été bannie sur les réseaux sociaux, on montre plus d’images. Et il y a eu un public réceptif à cela», explique Mamadou Ndiaye, par ailleurs Directeur de publication du journal Bés bi et du site emedia.sn.
Les réseaux sociaux et les médias classiques sont dans une sorte de concurrence. C’est une donne que personne ne peut occulter et les acteurs des médias doivent intégrer cette donne s’ils ne veulent pas être dépassés.
En tout état de cause, certains professionnels de l’information ne se laissent pas emporter par l’instantanéité qui caractérise les réseaux sociaux. Au contraire, ils essayent d’apporter une plus-value aux informations fournies à leur public. « Sur les réseaux sociaux, les informations passent vite alors que dans les médias classiques surtout pour la presse écrite, l’information est servie le lendemain. Ce qui fait que même dans la presse traditionnelle, les gens se demandent ce qu’ils doivent donner. On cherche toujours une plus-value. Et celle-ci se trouve dans la qualité des articles que l’on publie», déclare Bigué Bob, rédactrice en chef du quotidien EnQuête créé en 2011.
Même si elles sont devenues incontournables pour les médias, selon le journaliste de Walfadjri Ayoba Faye, ces plateformes en ligne exigent « des journalistes de produire des contenus instantanés, parfois sans le recul nécessaire», souligne la revue Panorama des médias sénégalais à l’ère de l’internet, publiée en 2023. « Facebook et Twitter, entre autres, jouent le ro?le d’intermédiaire entre le public et les journalistes. Ils conditionnent a? la fois les habitudes de consommation des communautés dites virtuelles, mais aussi la manière de faire des journalistes. A? quoi s’ajoute la quantité d’information », lit-on sur la revue susmentionnée.
Pour Ayoba Faye, ancien rédacteur en chef du site Pressafrik, lorsqu’on veut informer le public, on va là où se trouve ce dernier. « Ça serait aberrant de ne pas le faire. Bien sûr, il faudra rester sur les principes de base du journaliste que sont la collecte, le traitement et la diffusion de l’information», nuance M. Faye, blogueur et coordonnateur du site Walf.net. En écho, Mamadou Ndiaye renchérit : « Il est urgent que les journalistes investissent les réseaux sociaux en quantité et en professionnalisme pour y avoir une place telle qu’ils vont rectifier le tir à la limite réajuster la perception du public ». Une expérience que tente le journal EnQuête. En effet, selon Bigué Bob, ce journal est présent sur les différents réseaux sociaux et publie certaines informations sur ses plateformes digitales. « Mais, on ne met que les grandes lignes. Ce qui fait que le papier est fouillé, on le retrouve dans le journal ou sur le site en ligne », objecte-t-elle.
Une crise de confiance entre le public et les médias ?
La démocratisation des réseaux sociaux a conduit à un éclatement des sources d’information. Désormais, chaque internaute est un potentiel émetteur d’informations. Momar Assane est très actif sur les réseaux sociaux car suivis par plus de 20 mille comptes sur X (Ex Twitter). L’entrepreneur dans l’agro-industrie est connu sur le réseau social notamment grâce aux informations qu’il publie sur son compte. « Je vais à la source avant de publier une information. La plupart du temps, les personnes concernées m’appellent. Je ne publie jamais d’infos sans document pour les appuyer», expose-t-il. L’activiste, qui ne publiait que des faits relatifs à l’économie et à l’entreprenariat, a commencé à s’intéresser à la politique lors des manifestations de 2021. «Les médias classiques ne faisaient pas leur travail. A un moment donné, les journalistes n’étaient pas objectifs. Les journalistes qui ont eu le courage de leurs propos ont été punis» , estime-t-il avant d’ajouter : «Je me suis dit que je vais essayer de faire des choses, je ne suis pas une voix autorisée, je ne suis pas journaliste mais je donne toujours des informations après les avoir bien vérifiées.»
Pour Ayoba Faye, ces cinq dernières années, la presse sénégalaise n’a pas su rester «la sentinelle» comme elle devait l’être. « De grands groupes de presse ont participé à donner du crédit au régime sortant. Je pense que c’est ce qui a amené cette fracture et a vraiment détérioré cette relation de confiance entre le public et les médias.» Dissa Preira, journaliste à la Tfm évoque une autre raison. Pour le journaliste à la Tfm, il existe bien ce rapport genre «je t’aime moi non plus » entre le public et le journaliste sénégalais. Et cette relation s’explique, selon lui, par le fait que les médias sont devenus un « fourre-tout ». «Les Sénégalais ne différencient pas l’animateur et le journaliste ou le chroniqueur et le journaliste. C’est un problème. Toute information qu’ils vont tirer de ces gens (chroniqueurs et animateurs), ils vont dire que cela vient des journalistes. Alors que ce n’est pas le cas», a indique M. Preira.
Les réseaux sociaux, source de désinformation
Les réseaux sociaux se sont imposés comme des plateformes de communication centrale, émetteurs d’informations dans un monde hyper-connecté. La désinformation reste une des conséquences de ce flux de nouvelles publiées sur les réseaux sociaux. Dr. Bakary Sambe, dans ses rencontres intitulées «échanges, et discussions participatives» de Timbuktu Institute, soutenait que «l’impact d’une telle situation sur les médias et le travail journalistique est aujourd’hui exacerbé par l’emprise des réseaux sociaux sur la fabrique de l’opinion et les stratégies de conquête de l’espace médiatique». Ndiémé Faye, elle, estime qu’il y a moins de désinformation dans les médias classiques que sur les réseaux. «Sur ces derniers, on ne sait pas ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Je pense que la différence entre les médias classiques et les médias sociaux, c’est un peu le degré de désinformation», considère l’étudiante au Cesti.
La presse à l’ère de l’internet et des réseaux sociaux reste une préoccupation. Le code de la presse encadre davantage la presse classique que les nouveaux médias. Même si l’État du Sénégal « est en train de prendre les dispositions nécessaires pour que ce nouveau phénomène ne dépasse pas les limites » selon Amadou Kanouté, chef de la division presse et information au ministère de la Communication, des Télécommunications et de l’Économie numérique. Pourtant, l’article 13 et suivant du code de la presse permettent de combattre la propagation des fausses nouvelles en listant un chapelet d’obligations mais il s’adresse aux professionnels de l’information. Quid des internautes ? L’article 255 de la Loi n° 77-87 du 10 août 1977 modifiant le Code Pénal de 1965 prévoit et réprime la publication de fausses nouvelles. L’article 248 dudit code prend en compte les technologies de l’information et de la communication, couvrant « tout procédé technique, destiné à atteindre le public ».
Dans un document intitulé « L’écosystème des fausses informations au Sénégal : Une vue d’ensemble », l’auteur Samba Dialimpa Badji, journaliste atteste que selon une étude publiée dans plusieurs pays africains dont le Sénégal, les lois contre les fausses informations se révèlent être efficaces pour limiter leur propagation, dans la mesure où lesdites lois favorisent une approche punitive. Une approche qui a quand même, il faut le dire, un impact sur la liberté de la presse et la liberté d’expression.