Liberté de la presse au Burkina Faso et au Mali : l’appel des trente

Liberté de la presse au Burkina Faso et au Mali : l’appel des trente

Joliba TV News, L’observateur Paalga, France 24, la Fédération des journalistes africains, RFI, Omega Médias, Le Monde, Wakat Sera, Libération… Trente organisations et médias africains et internationaux se mobilisent, en ce 3 mai, en faveur de la liberté de la presse au Mali et au Burkina Faso.

Ils interpellent les autorités de ces deux pays et la communauté internationale sur la nécessité de mettre fin aux pressions et aux menaces dont sont victimes les journalistes nationaux et étrangers sur leurs territoires respectifs. Ils appellent les deux gouvernements de transition à respecter les engagements internationaux de leurs pays dans le domaine de la liberté d’expression, en particulier la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples.

À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, 30 médias africains et internationaux, dont RFI et France 24, publient ce 3 mai 2023 une lettre ouverte adressée aux autorités du Burkina Faso et du Mali, mais également à l’ensemble de la communauté internationale.

Alors que les pressions et les menaces de mort visant des journalistes nationaux et étrangers se multiplient dans ces deux pays, les signataires de ce texte s’inquiètent des menaces qui planent sur la liberté d’expression et la liberté de la presse. « Les mesures prises par les autorités du Burkina Faso, surtout ces derniers mois, sont de nature à remettre en cause le droit fondamental des citoyens à être informés », écrivent-ils dans ce texte collectif. « La liberté commence là où finit l’ignorance », ajoutent-ils, en rappelant les arrestations et les emprisonnements de journalistes et de leaders d’opinion intervenus récemment au Mali.

« Au Burkina Faso comme au Mali, ces attaques sont de plus en plus relayées sur les réseaux sociaux par des ‘influenceurs’ favorables aux régimes militaires de ces deux pays, qui jouent aux justiciers et n’hésitent pas à menacer de mort les journalistes et leaders d’opinion trop indépendants à leurs yeux », s’alarment encore les signataires de la lettre. Lesquels comptent dans leur rang des organisations de défense des droits des journalistes, telles que l’Union internationale de la presse francophone (UPF) ou la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA), ainsi que des organisations de défense des droits de l’Homme, telle que Human Rights Watch et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH).

En citant le quotidien burkinabè L’Observateur Paalga, les auteurs de la lettre ouverte affirment que « l’instauration d’un régime de terreur s’accompagne d’une vague de fake news qui inondent les réseaux sociaux de contre-vérité ». Selon eux, « les premières victimes de ces ‘influenceurs’ sont les populations malienne et burkinabè, qui sont privées de débat démocratique. »

Se disant « conscients de leurs responsabilités », mais aussi de « la complexité politique, géopolitique et militaire » dans ces pays, les 30 signataires affirment : « La lutte contre le terrorisme ne doit en aucun cas servir de prétexte pour imposer une nouvelle norme de l’information et pour restreindre les droits fondamentaux des populations malienne et burkinabè à rechercher et à avoir accès à l’information par le biais des médias professionnels et indépendants ».

La rédaction de cet « appel des trente » a été coordonnée par le bureau Afrique subsaharienne de Reporters sans frontières (RSF).

Lettre ouverte pour la protection des journalistes et la défense de la liberté d’expression et de la liberté de la presse au Mali et au Burkina Faso
Monsieur le Président de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union africaine,
Monsieur le Président de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la Cédéao,
Monsieur le Président de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’UEMOA,
Monsieur le Président de la Commission de l’Union africaine,
Monsieur le Président de la Commission de la Cédéao,
Monsieur le Président de la Commission de l’UEMOA,
Monsieur le Président du Parlement panafricain,
Monsieur le Secrétaire général de l’ONU,
Monsieur le Président du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU,
Madame la Directrice générale de l’Unesco,
Madame la Secrétaire générale de l’OIF,
Mesdames et Messieurs les Présidents des instances de régulation des médias des 15 pays de la Cédéao,
Monsieur le Président du Réseau francophone des régulateurs des médias,
Monsieur le Président de la Plateforme des régulateurs de l’audiovisuel des pays membres de l’UEMOA et de la Guinée,
Mesdames et Messieurs les ministres de la Communication des 15 pays de la Cédéao,
Monsieur le Président de l’Union africaine de radiodiffusion (UAR),
Appels au meurtre de journalistes et de leaders d’opinion, menaces et intimidations sur la presse nationale, montages grotesques contre des journalistes, suspension des médias internationaux RFI et France 24, expulsion des correspondants des journaux français Libération et Le Monde… Les menaces sur la liberté d’expression et la liberté de la presse sont très inquiétantes au Burkina Faso. Les mesures prises par les autorités de ce pays, surtout ces derniers mois, sont de nature à remettre en cause le droit fondamental des citoyens à être informés. La liberté commence là où finit l’ignorance.

Au Mali également, les pressions et les intimidations envers les journalistes et les leaders d’opinion se multiplient. De novembre à décembre 2022, la chaîne Joliba TV a été suspendue par la Haute autorité de la communication (HAC), après la diffusion d’un éditorial jugé critique envers les autorités.

Le 20 février 2023, la Maison de la presse de Bamako a été mise à sac. Le 13 mars, le chroniqueur de radio Mohamed Youssouf Bathily, plus connu sous le pseudonyme de Ras Bath, a été inculpé et écroué pour avoir dénoncé « l’assassinat » de l’ex-Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga.

Le 15 mars, Rokia Doumbia, dite « Rose vie chère », a été arrêtée à son tour pour avoir communiqué sur la hausse des prix et « l’échec » de la transition. Le 6 avril, le journaliste Aliou Touré a été enlevé par des hommes armés et cagoulés et n’a été retrouvé libre que quatre jours plus tard.

Là aussi, la presse internationale est loin d’être épargnée. En février 2022, un reporter de Jeune Afrique a été expulsé de Bamako. Et un mois plus tard, RFI et France 24 ont été coupés sur tout le territoire malien.

Au Burkina Faso comme au Mali, ces attaques sont de plus en plus relayées sur les réseaux sociaux par des « influenceurs » favorables aux régimes militaires de ces deux pays, qui jouent aux justiciers et n’hésitent pas à menacer de mort les journalistes et leaders d’opinion trop indépendants à leurs yeux. Aujourd’hui, le mensonge s’ajoute à la violence.

« L’instauration d’un régime de terreur », comme l’écrit le quotidien burkinabè L’Observateur Paalga, s’accompagne d’une vague de « fake news » qui inondent les réseaux sociaux de contre-vérité. Les premières victimes de ces « influenceurs » sont les populations malienne et burkinabè, qui sont privées de débat démocratique.

En cette période de grave crise sécuritaire dans ces deux pays, les journalistes qui jouent un rôle crucial d’information des citoyens sont tous conscients de leurs responsabilités. Ils comprennent aussi la complexité du contexte politique, géopolitique et militaire.

Ils vivent et subissent aussi les graves conséquences de cette crise sécuritaire. Ils souhaitent, comme tous les citoyens, le retour rapide à la paix. Pour autant, la lutte contre le terrorisme ne doit en aucun cas servir de prétexte pour imposer une nouvelle norme de l’information et pour restreindre les droits fondamentaux des populations malienne et burkinabè à rechercher et à avoir accès à l’information par le biais des médias professionnels et indépendants.

Au Burkina Faso, la situation des journalistes est devenue tellement critique que même l’institution chargée de la régulation s’en émeut. Dans un communiqué publié le 29 mars 2023, le Conseil supérieur de la communication (CSC) « constate avec regret la récurrence des menaces proférées à l’endroit d’organes de presse et d’acteurs des médias ». Le CSC demande aux autorités burkinabè de « prendre les mesures idoines pour assurer la sécurité des médias et des journalistes dans l’exercice de leur profession ».

De son côté, Volker Türk, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, se dit « profondément troublé » par la situation des médias au Burkina Faso. « En cette période de transition, la protection des voix indépendantes est plus nécessaire que jamais », ajoute-t-il.

Le 20 février, Alioune Tine, l’expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme au Mali, a déclaré être « extrêmement préoccupé par le rétrécissement de l’espace civique, de la liberté d’expression et d’association » au Mali.

Sur la base de tous ces éléments, nous, signataires de cette lettre ouverte,

Exhortons les autorités du Mali et du Burkina Faso à mettre fin à toutes les mesures qui portent atteinte à la liberté de la presse.
Remarquons une absence de protection des forces de sécurité et un silence de la justice face aux campagnes d’intimidation et aux menaces de mort lancées contre les journalistes de ces deux pays. Tout en respectant l’indépendance de la justice, nous demandons aux procureurs et aux officiers de police judiciaire d’être plus réactifs sur ces actes répréhensibles par le droit pénal.

Demandons aux autorités de ces deux pays de garantir la protection et la sécurité de tous les professionnels des médias victimes de menaces, intimidations, harcèlement et attaques physiques.

Demandons aux autorités de diligenter des enquêtes impartiales, efficaces et indépendantes pour faire la lumière sur les abus commis contre les journalistes, identifier les responsables et les poursuivre en justice.

Appelons les deux gouvernements à respecter les obligations internationales signées et ratifiées par les États concernant la liberté d’expression et la liberté de la presse, en particulier la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Appelons les responsables nationaux et les instances panafricaines et internationales destinataires de cette lettre ouverte à soutenir cette démarche au plus haut niveau : l’accès à l’information est un droit fondamental des peuples. En cette journée mondiale de la liberté de la presse, il est essentiel de la défendre et de la protéger.
SIGNATAIRES

AfrikaJom Center
Association des Journalistes du Burkina Faso (AJB)
Association des Professionnels de la Presse en Ligne (APPEL Sénégal)
Cellule Norbert Zongo pour le Journalisme d’Investigation (CENOZO)
Centre National de la Presse Norbert Zongo (CNP-NZ Burkina Faso)
Courrier confidentiel (Burkina Faso)
Fédération des Journalistes Africains (FAJ)
Fédération Internationale des Journalistes (FIJ)
Fédération Internationale pour les Droits de l’Homme (FIDH)
France 24 (France)
Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA)
Human Rights Watch (HRW)
International Press Institute (IPI)
Jeune Afrique (France)
Joliba TV News (Mali)
Le Pays (Burkina Faso)
Le Monde (France)
Lefaso.net (Burkina Faso)
Le Reporter (Burkina Faso)
L’Événement (Burkina Faso)
Libération (France)
L’Observateur Paalga (Burkina Faso)
Radio France Internationale (France)
Reporters Sans Frontières (RSF)
Société des Editeurs de la Presse Privée du Burkina Faso (SEP)
Omega Médias (Burkina Faso)
Union Internationale de la Presse Francophone (UPF)
Union des Journalistes d’Afrique de l’Ouest (UJAO)
24heures.bf (Burkina Faso)
Wakat Sera (Burkina Faso)
France 24

Laisser un commentaire